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Humpty Dumpty sat on a wall
Stéphanie Lemoine: A question about the technique, if you will, before our little ping pong game: What
do
you
mean by silkscreen painting? You didn’t take to painting on silk, did you? And the wallpapers, where do they
come from?
Renaud Regnery: Originally the screens used for silkscreen printing, through which the ink passes, were
made of
silk. At the moment, I often use the silkscreen technique to print patterns on the surfaces of the paintings.
Therefore, in the material description of these works, it says “silkscreen print”. For the tapestries, I have
two sources: the vintage wallpapers, from the 60s or 70s, come from Cologne. I came across a store there that
has a vast stock. For the contemporary wallpapers, I regularly visit a supplier here in Berlin, down my
street,
where I consult catalogs with the latest innovations. It is always impressive.
SL: Consulting the catalogs of wallpaper manufacturers – that should send some shivers down the spines
of
those
who are about to redecorate their homes… Would you be a bit of an interior designer?
RR:
SL: I upset you?
RR: No, not at all! Excellent question, but I come and go… Interior designer, a little bit, on a
technical level
anyway, since I start by covering the canvas with wallpaper using traditional techniques of cutting and
fitting.
At that moment, my painting is like a fragment of a wall, with a more or less beautiful tapestry, neat and
decorative.
SL: Having thus lined this fragment of a wall on your canvas, you come and go : ) ?
RR: That’s it! I come and go from one painting to the other. I react to these surfaces; usually I start
by
altering them: I sand, I burn, I give them a patina, to sum it up. When I can’t do anything more at that
stage,
I add a pictorial element: using a brush, a roller, spray paint, with the canvas hanging on the wall or laying
on the floor, in one sense or another… In the end it is more or less a long process, during which I just add
and
remove things.
SL: Addition/subtraction;geometry/pattern; background/foreground…
All placed under tension. Is this where
“trouble” comes from?
RR: I add disorder
SL: And yet the composition is rigorous…
RR: I redistribute
SL: Of course I won’t hide from you that the title of the series, “Triple Trouble” remains enigmatic to
me, with
its resonances of Humpty Dumpty.
Yet you know the end of the nursery rhyme:
Humpty Dumpty sat on a wall
Humpty Dumpty had a great fall
All the king’s horses and all the king’s men
couldn’t put Humpty together again
Are you trying as a king’s man to reassemble the heterogeneous elements of different walls: wall decorated
with
wallpaper and tapestry, wall vandalized by aerosol and stencil, a painted wall to which the pigment and
acrylic
will cling?
RR: That’s a sagacious comparison you are making there!
In Alice in Wonderland, the verbal sparring match that opposes Humpty Dumpty to Alice symbolizes the
opposition
of a relentless logico-linguistic system (and a subordinate to the kingdom) to another form of intelligence,
more intuitive and sensitive. At the end in particular, Humpty Dumpty is destabilized by Alice’s remarking on
the beauty of his belt, which is in fact his tie … Although he himself strongly resembles an egg! With me it’s
the same.
SL: Humpty Dumpty ends the conversation as a sophist. The words I use, he says, mean exactly what I
want
them to
mean. The question is whether we can give the words a different meaning. The question, in short, is to know
who
is the master. With you it’s the same?
RR: Alice succeeds, although feeling her way along, to force Humpty Dumpty into a displacement,
highlighting all
the limits of his belief system and therefore his real power over words. In art, it seems to me that it is a
bit
the same: opening breaches, reversing situations and finding counter-systems, in my case by counting on a
certain autonomy of painting. The wallpapers that I use come from industrial mass production; they reflect a
certain conception of standardized beauty.
I work with them, but also against them.
Interviews conducted by email in February 2012 between Stéphanie Lemoine, journalist and author, and Renaud
Regnery.
Renaud Regnery (*1976) studied at the Ecole des Beaux-Arts in Paris followed by the Hochschule für Bildende
Künste in Dresden, Germany. He has lived and worked in Berlin since 2006. His work was recently presented,
among
other occasions, at the Printemps de Septembre in Toulouse, at Klemm’s gallery in Berlin, as part of the last
Biennial of Prague and will be exhibited in a solo exhibition at Elizabeth Dee Gallery in New York in
September
2012.
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FR
Humpty Dumpty sur un muret perché
Stéphanie Lemoine : Une question sur la technique si tu veux bien, avant notre petit ping pong :
qu’est-ce que
tu entends par silkscreen painting ?
Tu ne t’es tout de même pas mis à la peinture sur soie ? Si ?
Et les papiers peints, d’où viennent-ils ?
Renaud Regnery : En fait “silkscreen” est le mot anglais pour “sérigraphie”. À l’origine les écrans de
sérigraphies, au travers desquels l’encre passe, étaient en soie. En ce moment, j’ai souvent recours à la
sérigraphie pour imprimer des motifs sur les surfaces des tableaux. C’est pourquoi, dans les intitulés
techniques des oeuvres, on peut lire “silkscreen print”. Pour les tapisseries j’ai deux sources : les papiers
peints de type vintage, genre années 60 ou 70, viennent de Cologne. J’ai déniché un magasin qui dispose d’une
réserve très riche. Pour Les papiers peints contemporain, je me rends régulièrement chez un fournisseur ici à
Berlin, en bas de chez moi, où je consulte des catalogues avec les dernières innovations. C’est toujours
impressionnant.
SL: Consulter les catalogues de fabricants de papier peints doit te procurer le petit frisson de tous
ceux qui
s’apprêtent à entreprendre des travaux chez eux… Serais-tu un peu décorateur d’intérieur ?
RR:
SL:Je t’ai vexé ?
RR: Non pas du tout ! Excellente question, mais je vais et je viens… Décorateur d’intérieur un petit
peu,
sur
le plan technique en tout cas, puisque je commence par recouvrir la toile de papier peint en utilisant les
techniques traditionnelles de découpe et de pose. À ce moment-là, mon tableau est comme un fragment de mur
d’intérieur avec une plus ou moins belle tapisserie, bien propre, bien décorative.
SL: Après avoir ainsi tapissé ce fragment de mur sur ta toile, tu vas et tu viens : ) ?
RR: C’est ça ! Je vais et je viens d’un tableau à l’autre. Je réagis à ces surfaces, en général je
commence en
les altérant : je les ponce, je les brûle, je leur donne une patine en somme. Lorsqu’à ce stade je ne peux
plus
rien faire, j’ajoute un élément pictural : au pinceau, au rouleau, au spray, tableau au mur ou au sol, dans un
sens, dans l’autre … Finalement c’est un plus ou moins long procédé au cours duquel je ne fais qu’ajouter et
enlever.
SL: Ajout/soustraction ; géométrie/motif ; arrière-plan/premier plan… Le tout mis en tension. D’où le
trouble ?
RR: Je désordonne
SL: Et pourtant la composition est rigoureuse…
RR: Je redistribue
SL: Evidemment je ne te cache pas que le titre de la série, « Triple Trouble» reste pour moi
énigmatique
avec
ses résonances à la Humpty Dumpty.
Or tu sais comment finit la comptine :
Humpty Dumpty sur un muret perché.
Humpty Dumpty par terre s’est écrasé.
Ni les sujets du Roi, ni ses chevaux
Ne purent jamais recoller les morceaux.
Essaies-tu en homme du roi de réassembler les éléments hétérogènes de différents murs : mur décoré du papier
peint et de la tapisserie, mur vandalisé par l’aérosol et le pochoir, mur peint où vont s’accrocher les
pigments
et l’acrylique ?
RR: C’est une association sagace que tu fais là ! Dans Alice au pays des merveilles, la joute verbale
qui
oppose Humpty Dumpty à Alice symbolise l’opposition d’un système logico-linguistique implacable (et subordonné
au royaume) à une autre forme d’intelligence, plus intuitive et sensible. A la fin notamment, Humpty Dumpty
est
déstabilisé par la remarque d’Alice sur la beauté de sa ceinture, qui en fait est sa cravate… Alors que
lui-même
ressemble fortement à un œuf ! Chez moi c’est pareil.
SL: Humpty Dumpty clot la conversation en sophiste. Les mots que j’emploie, dit-il, veulent dire
exactement ce
que je veux qu’ils disent. La question est de savoir si l’on peut donner aux mots un sens différent. La
question
est en somme de savoir qui est le maître. Chez toi c’est pareil ?
RR: Alice réussit, bien qu’avançant à tâtons, à contraindre Humpty Dumpty à un déplacement, et qui met
en
lumière toutes les limites de son système de pensée et donc de son pouvoir réel sur les mots. En art, il me
semble que c’est un peu la même chose : ouvrir des brèches, renverser des situations et trouver des
contre-systèmes en comptant, dans mon cas, avec une certaine autonomie de la peinture. Les papiers peints que
j’utilise sont issus de la production industrielle de masse, ils reflètent une certaine conception du beau
standardisé. Je travaille avec, mais aussi contre.
Entretiens réalisés par email en février 2012 entre Stéphanie Lemoine, journaliste et auteur, et Renaud
Regnery.
Renaud Regnery (1976*) a étudié à l’École des Beaux-Arts de Paris puis à la Hochschule für Bildende Künste de
Dresde, en Allemagne. Il vit et travaille à Berlin depuis 2006. Son travail a été récemment présenté entre
autres dans le cadre du Printemps de Septembre à Toulouse, à la galerie Klemm’s à Berlin, ou encore dans le
cadre de la dernière biennale de Prague, et fera l’objet d’une exposition personnelle à la galerie Elizabeth
Dee
à New York en septembre 2012.