Choses tues
EN
Whereof one cannot speak, thereof one must be silent.
Ludwig Wittgenstein
On the occasion of his new space opening, Sébastien Ricou is pleased to present “Choses tues”, John Cornu’s
second solo exhibition at the gallery.
As eclectic as they are, the works on show – watercolours, installations, sound pieces, ready-mades – develop
a
range of interpretative games, a plurality of real and intelligible trajectories. Each proposition, like the
whole exhibition, begins with a weaving together of significations – in other words, with a tension between
clearly established intentions and a more obscure, harder to grasp aspect, the artist marking out “the
contours
of a manipulated reality where what is presented to us never quite corresponds with what we think we are
seeing1”. This attitude, which characterises John Cornu’s working method, involves what is there in front our
eyes – here and now – just as much as a multitude of unspoken things, shortcuts and parallel paths.
With its polysemic title borrowed from Paul Valéry, “Choses tues” reminds us of unconscious, suppressed
memories, as well as resistant forms: what Georges Bataille called ‘the cursed part’. However, just
discernible
on the surface, a sort of Ariadne’s thread joins modernist codes borrowed from a certain radicalism to a dose
of
romanticism, with all that this carries with it in the way of violence, ruin and destruction.
“Untitled”, shown in the first room, is made up of a collection of twelve vertical pieces of polished and
blackened wood attached to the wall at regular intervals, as if they formed a single, united plane, or even a
single, united picture. Victims of a poetic fire, each of the vertical pieces seems to have been carbonised,
eaten away by flames. And yet, in fact, it is merely the simulacrum of an auto-da-fé – these
“object-paintings”
are, in essence, representations made of carved wood, paint and wax. Opposite these, and continuing the same
pictorial note, the artist deploys a strange, penetrable forest made up of fifteen or so Acrow props.
Moreover,
using the verticality of the exhibition space, this installation divulges the clues to its creation; in other
words all the manipulations, the carrying, the arrangements and acts of tightening carried out by the artist
during the installation: a veritable pictorial genealogy frozen in the black paint of the galvanised surfaces
of
the props. This desire to present a memory, to place the clue-laden evidence right before us is also to be
found
in the rectangular slab of worn and dirty wood, displayed on a white plinth in the second space. Ready-made is
quite simply a butcher’s block with which a man practised his profession for 50 years. Entitled “La mort dans
l’âme” [Death in spirit], this piece – a vanitas as palpable as it is ghostly – presents us, simply and
directly, with the marks and stigmata of the blows of every knife blade it has been subjected to. Another form
of homage can be seen with the series “Réserves”, which displays a strong symbolic purpose. This modern,
kinetic
and minimal work, which sets out several thousand irregular white dots (obtained by means of a so-called
‘reserve’ gum) arranged in lines – consists of a repetition of contemporary aboriginal paintings. Except for
one
small detail: these watercolours are made with wine, reminding us that large numbers of subsistence aboriginal
peoples are in the thrall of this culpable liquid. One could also point out a second form of purpose, a
referential one this time, if one considers the relationship between this work and minimalist art, as well as
with the work of Roman Opalka. This strong connection continues with the installation “Sonatine, Mélodie
Mortelle” [Sonatina, Mortal Melody] on display in the basement. On show simultaneously at the MACRO Museum
(Rome) and at the Parvis – Centre d’art (Tarbes), this work reveals the agony of a style of lighting used
widely
in art since the 1960s. It is impossible not to think of Dan Flavin’s light installations, whose fluorescent
tubes are not immune from wearing out.
It would be possible to say a great deal more about the works on display, to loudly proclaim the multiplicity
of
their possible interpretations. But in so doing, we would be going against the artist’s desire not to lock in
the meaning of his works, to always “make experience available” to the visitor in order that he or she be more
an actor that a mere onlooker. “In essence, I prefer uncertainty to a work that is too explicit. I always
attempt an improbable transference with an imagined visitor or with a horizon of expectation (to borrow H. R.
Jauss’ expression) 2”, wrote John Cornu, in an interview with Daria de Beauvais.
Let us suppose, then, that the final piece in the exhibition, “Par la meurtrière” [Through the arrow slit],
will
not have escaped this logic and that it will be up to each of us to question ourselves on what we see…
_
1 Christian Alandete, « Tant que les heures passent », in art press n° 364, February 2010.
2 John Cornu & Daria de Beauvais, « Uncertainly principle », in John Cornu, Monograph, Ed. Analogues, Arles,
2012.
FR
Ce dont on ne sait parler, il faut savoir le taire.
Ludwig Wittgenstein
À l’occasion de l’ouverture de son nouvel espace, Sébastien Ricou est heureux de présenter « Choses tues », la
seconde exposition personnelle de John Cornu à la galerie.
Les œuvres présentées, aussi éclectiques soient elles – aquarelles, installations, pièces sonores, ready-mades
–
développent une gamme de jeux interprétatifs, une pluralité de trajectoires sensibles et intelligibles. Chaque
proposition, comme l’exposition dans son ensemble, procède en effet d’un tressage de significations,
c’est-à-dire d’une tension entre des intentions clairement établies et une part plus obscure, moins
saisissable
; l’artiste traçant les contours d’une réalité manipulée où ce qui est donné à voir ne correspond jamais tout
à
fait à ce que l’on pense regarder.1 Cette attitude, qui caractérise la pratique de John Cornu, implique autant
ce qu’il y a là sous nos yeux – ici et maintenant – qu’une multitude de non-dits, de chemins de traverse, de
contre-allées.
Avec son titre polysémique emprunté à Paul Valéry, « Choses tues » renvoie donc aux inconsciences, aux
mémoires
enfouies, ainsi qu’aux formes résistantes : ce que Georges Bataille appelait la part maudite. Un fil d’Ariane
se
dessine toutefois en creux, entre des codes modernistes emprunts d’une certaine radicalité et une dose de
romantisme avec tout ce qu’il comporte de violence, de ruines et de destructions.
Présentée dans la première salle, « Sans titre » se compose d’un ensemble de douze verticales de bois poli et
noirci accrochées au mur à intervalles réguliers comme si elles formaient un seul et même plan, pour ne pas
dire
un seul et même tableau. Victimes d’un incendie poétique, chacune des verticales semble avoir été carbonisée,
érodée par les flammes. Pourtant, il ne s’agit là que d’un simulacre d’autodafé, ces «objets peintures» se
résumant à des représentations faites de bois sculptés, de peinture et de cire. En vis-à-vis, toujours dans un
registre pictural, l’artiste déploie une étrange forêt pénétrable constituée d’une quinzaine d’étais de maçon.
Utilisant la verticalité du lieu d’exposition, cette installation divulgue en outre les indices de sa mise en
œuvre, soit l’ensemble des manipulations, des portés, des déploiements et des gestes de serrage opérés par
l’artiste lors du montage ; une véritable généalogie picturale figée à la peinture noire sur les surfaces
galvanisées des étais. Cette volonté de présenter une mémoire, de mettre au devant une charge indicielle se
retrouve également dans le pavé rectangulaire de bois noirci et érodé, exposé sur socle blanc dans le second
espace. Ready-made, ce dernier n’est autre qu’un billot de boucher sur lequel un homme exerça sa profession
durant 50 ans. Vanité aussi palpable que fantomatique, cette pièce nommée « La mort dans l’âme » donne à voir,
simplement et directement, les traces et les stigmates des coups de lames qu’elle a reçus. Autre forme
d’hommage
encore avec la série des « Réserves » qui présente une forte détermination symbolique. Ce travail moderne,
cinétique et minimal – qui propose quelques milliers de points blancs irréguliers (obtenu au moyen d’une gomme
dite de réserve) rangés en lignes – consiste en une redite de peintures aborigènes contemporaines. À un détail
près toutefois puisqu’il s’agit ici d’aquarelles au vin, et qu’il ne nous est pas inconnu que les populations
aborigènes subsistantes sont pour beaucoup sous l’emprise de ce liquide coupable. On pourrait souligner aussi
une seconde forme de détermination, cette fois référentielle, si l’on considère la relation qu’entretient ce
travail à l’art minimal ainsi qu’à la pratique d’un Roman Opalka. Rapport de filiation toujours avec
l’installation « Sonatine, Mélodie Mortelle » montrée au sous-sol. Exposée parallèlement au Musée MACRO (Rome)
et au Parvis – Centre d’art (Tarbes), cette œuvre révèle l’agonie d’un dispositif lumineux largement utilisé
en
art depuis les années 1960. Comment ne pas penser ici aux installations de Dan Flavin dont les tubes aussi ne
sont pas exempts d’obsolescence ?
Il serait possible de dire bien des choses encore sur les œuvres présentées, d’énoncer tout haut le feuilleté
de
leurs interprétations. Mais ce faisant, nous irions contre cette volonté de l’artiste de ne point verrouiller
le
sens de ses pièces, de toujours «rendre l’expérience disponible » au visiteur afin que celui-ci soit plus
acteur
que simple spectateur. Je préfère en effet l’incertitude qu’une œuvre trop explicite. Je tente toujours un
transfert improbable avec un visiteur imaginé ou avec un horizon d’attente (pour reprendre l’expression de
H.R.
Jauss) 2, écrit John Cornu dans un entretien avec Daria de Beauvais.
Gageons donc que la dernière pièce de l’exposition, « Par la meurtrière », n’échappera pas à cette logique et
qu’il reviendra à chacun de s’interroger sur ce qu’il voit…
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1 Christian Alandete, « Tant que les heures passent », in art press n° 364, février 2010.
2 John Cornu & Daria de Beauvais, « Principe de réalités », in John Cornu, catalogue monographique, Ed.
Analogues, Arles, 2012.
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